Dans mes lectures j’ai trouvé ce beau texte sur nos protégées. Pour l’admiration que je leur porte, j’ai voulu partager cet écrit avec tous les apiculteurs. Bernard DEWITTE.

Elles incarnent la grâce, vivent dans la légèreté. Elles partagent leur temps entre le ciel et les fleurs. Elles ne manquent jamais de saluer la beauté d’une corolle. Elles sont toujours élégantes et le sont sans effort, définition de l’élégance. Elles n’imaginent pas sortir dans le monde autrement qu’en habit. Chaque année, avec une régularité de mannequins, elles présentent leurs collections de printemps : une livrée rayée, cintrée à mort et deux traines de tulle, presque transparentes. Pour communiquer, elles dansent dans le soleil. Elles ne haussent jamais le ton, n’imposent pas leurs vues, préférant l’arabesque à l’argutie. Elles ont choisi le matriarcat et vénère une reine. Mais que la souveraine vienne à mettre ses sujets en péril, elle sera sanctionnée : en ce royaume, les incompétents et les profiteurs n’ont pas place. Elles vivent dans la promiscuité mais coexistent en paix : c’est qu’elles ont inventé la société sans « incivilités », pour employer un mot qui ne leur ressemble pas. Elles n’ont pas aboli les castes et pourtant nulle iniquité n’entache leur ordre : elles préfèrent la justice à l’égalité. Chacune connait son rôle sur terre et aucune ne songerait à accuser les autres de son mal-être. Elles savent que la vie est tragique. Lorsque la communauté est en péril, elles préfèrent se sacrifier plutôt que de se bercer des illusions de l’optimisme. Elles sont organisées comme une communauté urbaine, mais n’ont pas renoncé à vivre en respectant le cycle cosmique, l’éternel retour des saisons, la valse du soleil et de la lune. Elles ont inventé la productivité, mais ne s’autorisent jamais à piller leurs ressources. Elles se repaissent d’un produit de luxe, mais ne connaissent pas le mauvais goût. Elles seront les premières à faire les frais des dérèglements climatiques si les choses tournent mal, pourtant, pas une plainte : pas le genre. Elles savent mourir d’amour, défendre la patrie et partager généreusement leurs biens. Elles tolèrent les oisifs, à condition que ceux-ci vouent leur vie à l’amour. D’ailleurs elles savent mourir d’aimer. Elles pratiquent allègrement le suicide et croient, comme les Romains, que la force n’empêche point la beauté. Ainsi, si elles allient la fragilité du bijou à l’odeur du nectar, elles n’hésitent pas à attaquer celui qui leur veut du mal.

Apiculteurs, ne cherchez plus ! C’est pour cela que les abeilles disparaissent : elles sont tellement loin de l’époque…